Jean Szlamowicz





Un soupçon de poésie, de jolis mots dans le vin qui se métamorphosent en dégustation... Jean Szlamowicz dans son livre Savoir parler du VIN vous apporte un autre regard, vous conte une belle histoire sur ce « jus sacré »...

L'auteur confesse dans ses premières lignes, « Il émane du vin une frénésie verbale qui en définit la singularité. Le vin n'est pas le simple liquide que l'on tire du raisin fermenté. Il s'écoule, depuis la source d'un fil civilisationnel qui court sur le temps long, traverse l'histoire agricole, politique et spirituelle, serpente dans les méandres de la géographie humaine et déteint sur la langue, désormais riche d'un vocabulaire dont la jutosité est déjà une dégustation. »

« Car le monde du vin a beau paraître aller de soi, il est une construction culturelle complexe. », écrivez-vous au début de votre livre. Vous pouvez nous en dire un peu plus...
Le vin n'est pas qu'une boisson : il renvoie à des pratiques agricoles, à une évolution gastronomique, à des rites religieux, à une géographie... Contrairement à d'autres aliments, il a été pris dans un processus culturel de symbolisation... ce n'est pas le cas du céleri ou du petit pois !

La bouteille de vin qu'on ouvre pour accompagner un repas est la résultante d'une histoire sociale et des discours qui en ont accompagné la constitution. Objet de prestige ou de convivialité, produit économique, produit d'exportation, champ d'expérimentation pour la chimie ou d'investissement poétique, il comporte une multitude de facettes dont la richesse est propre à son développement dans la culture française et européenne. C'est une singularité culturelle que nous ne percevons pas tant elle parait évidente dans notre quotidien.

Des mots pour le décrire, le déguster... Il est élégant, il est rond, sa robe, sa cuisse... On parlerait presque d'une femme... Qu'en pensez-vous...

Chacun son imaginaire et l'écriture peut parfois conduire à développer des analogies fondées sur la sensualité, mais ces termes possèdent tous une cohérence dans le système du vocabulaire qui ne renvoie pas fondamentalement à la féminité.

La notion d'élégance va valoriser l'équilibre gustatif ; la rondeur évoque une sensation de volume en bouche. Cette acception du mot robe n'est pas celle du vêtement contemporain, mais de l'apparence visuelle... comme pour les couleurs des chevaux ou des bovins. Quant à la cuisse, dont les hommes sont également pourvus, elle appartient à un vocabulaire désuet, mais ce mot renvoie surtout à la plénitude corporelle. On disait aussi « avoir du gilet » et, aujourd'hui encore, « avoir du corps ».

En définir son profil aromatique, ses notes, son nez, sa bouteille que l'on nomme parfois « flacon »... Là, nous retrouvons des mots du monde du Parfum... Vous diriez que l'on déguste un vin comme l'on découvre les notes d'un Parfum...
C'est une tendance contemporaine de la dégustation que de décrire les vins par leurs arômes. Il a longtemps été plus courant de parler du caractère du vin : puissant, racé, timide, noble, subtil...

Les composantes olfactives sont d'ailleurs problématiques car nos centaines de capteurs olfactifs ne sont pas sensibles, pour chaque individu, aux mêmes concentrations et d'une personne à l'autre, la différence de perception peut être très importante. Il existe aussi une subjectivité culturelle à l'oeuvre dans la détection aromatique car on ne peut sentir que ce que l'on connaît de manière distincte. On trouve ainsi chez des dégustateurs américains ou asiatiques la perception d'arômes qu'aucun francophone ne repèrerait : feuille de shiso ou mûre de Boysen ne font pas partie de notre horizon sensoriel.

La recherche forcenée de subtilités insaisissables débouche parfois sur des descriptions qui relèvent davantage de l'évocation poétique que de la perception : des arômes de « pulpe de framboises fraîches » dans un vin se distingueraient-il vraiment de la simple framboise...

« On prend du rouge ou du blanc ? »... Mais est-on bien sûr que les noms de couleurs possèdent le même sens quand elles concernent le vin ? » Pour quelles raisons posez-vous cette question...
La sémantique des couleurs ne renvoie pas à des valeurs spectrales. Les couleurs du vin ne décrivent pas des couleurs réelles... blanc pour un vin ne désigne pas la même couleur que le lait, le rouge du vin n'est pas celui du homard...

Ce sont les propriétés des mots qui sont à l'oeuvre : rouge renvoie à l'intensité visuelle alors que blanc désigne la pâleur. La distinction rouge-blanc-rosé n'évoque donc pas de « vraies » couleurs mais distingue des types de vin, construits selon un ensemble de propriétés qui ne relèvent pas seulement de l'aspect visuel, mais qui concernent la vinification, les alliances gastronomiques, la température de service, etc. On remarque aussi que couleurs de cépages et couleurs de vins ne fonctionnent pas de la même manière : les raisins « noirs » donnent du vin « rouge » et l'on peut ainsi obtenir un vin « blanc de noirs » c'est-à-dire un vin blanc issu de raisins noirs, ou un « gris de gris », c'est-à-dire un vin rosé issu de raisins rouge-pâle. Si gris parvient à désigner une couleur rose, c'est parce que la signification de gris, avant d'être celle d'une couleur désigne un entre-deux, ici une sorte de « ni rouge, ni blanc »...

La dénomination des couleurs est très complexe, changeante et possède une véritable histoire, culturelle et linguistique. Le vin y a d'ailleurs contribué de manière importante : on n'a qu'à songer à la couleur bordeaux qui est bien issue d'une analogie avec le vin.

« L'esthétisation du vin consiste à l'envisager non comme simple produit de consommation mais comme source d'émerveillement et comme objet d'une expertise. » Le regarder comme un objet d'art, n'est-ce pas la meilleure façon de ne pas être addict de ce jus...
Le vin n'a pas qu'une fonction alimentaire, il est l'objet d'une évaluation et d'un investissement esthétique. En cela il participe d'une socialité fondée sur le partage, l'échange d'impressions, la comparaison, notamment dans un cadre hédonique. C'est ce qui est absent du comportement addictif : dans l'alcoolisme, la consommation est égocentrée.

L'esthétisation du vin a ainsi produit une approche similaire au domaine artistique où l'on commente l'émotion poétique. C'est ce qui explique qu'on parle autant du vin... plus même qu'on n'en boit ! ... car les discours deviennent aussi importants que l'acte de consommation. Nous lisons des ouvrages, des catalogues et des magazines qui nous parlent de bouteilles qu'on ne boira jamais mais qui créent un imaginaire géographique, sensoriel et poétique qui s'inscrit dans la culture générale.




Savoir parler du VIN
Jean Szlamowicz
Préface de Jean-Robert Pitte

Editions
Les Editions du Cerf
20 euros

www.editionsducerf.fr

Jean Szlamowicz est professeur des universités, linguiste enseignant à l'Université de Bourgogne. Il est aussi membre de l'Académie du jazz, journaliste et producteur musical.
Il est également traducteur littéraire (Michael McDowell, Julian Fellowes, Ray Celestin...) et traducteur technique dans le domaine du vin, de la musique et du vêtement.
Il a publié, toujours aux Editions du Cerf, Les Moutons de la pensée en 2022



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